« Le bûcher des vaniteux » (Par Sidy DIÔP, Journaliste-Formateur au CESTI)

Au rythme où essaiment les candidatures, 2024 est parti pour battre tous les records. A onze mois de la présidentielle déjà, les doigts des mains et des pieds ne suffisent plus à compter le nombre de candidats déjà déclarés. Le virus de l’ambition politique est très contagieux et, le plus inquiétant, c’est que l’on n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie. Des candidats très différents sur le plan politique mais qui ont, presque tous, un point commun : leurs nombreuses défaites ne les ont toujours pas vaccinées…

Aminata Touré, candidate après sa désillusion parlementaire, a raison de dire qu’en politique « l’ambition n’est pas un délit », mais qui pour lui rappeler qu’elle ne se réduit pas non plus aux délices de la chamaille ?

« Idy, Messi sans génie »

C’est celui que l’on attendait le moins. Après sa bruyante conversion à la religion du « Mackysme » sanctionné par son admission dans le cercle restreint des apôtres à la soutane marron, Idrissa Seck a déjà des idées de schisme. Celui qui fait tout comme Abdoulaye Wade, son formateur politique, voudrait mettre à profit la période d’incertitudes qui précède la présentielle et le très corrosif débat sur le troisième mandat pour aller au clash. Dr Cheikh Diallo, à qui il a rendu visite ces derniers jours, a annoncé la candidature du boss du Conseil économique, social et environnemental.
Le peuple de Rewmi, soumis à des vents contraires depuis que son leader a décidé de brusquer le rythme des saisons en rejoignant la majorité présidentielle en novembre 2020, ne sait plus à quel Idrissa se fier. Celui qui se promettait d’accéder à la station présidentielle à 52 ans ou celui qui a décrété, le jeudi 28 juin 2012 (l’année de ses 52 ans), « l’an zéro » de sa carrière politique ? L’homme politique à la ligne claire qui promettait une opposition homérique au président Macky Sall ou le chef de parti au trait obscur qui griffonne des sentences illisibles dans son propre parti ? L’an zéro qui, dans la dialectique seckienne, a effacé la prophétie d’une accession au pouvoir en… 2012, apparaît de plus en plus comme un camouflet aux certitudes de l’ancien Premier ministre. L’armée sur laquelle il comptait pour terrasser les forces ennemies ne paie pas de mine. Elle a perdu des divisions entières et autant de généraux décidés à renforcer le camp d’en face. Pape Diouf, Oumar Guèye, Youssou Diagne, Cheikh Tidiane Diouf, Nafissatou Diop Cissé, Waly Fall, Ousmane Thiongane, Déthié Fall, Yankhoba Seydi et tous les et autres qui sont partis obligent le chef à être le pompier d’un incendie qu’il a, lui-même, allumé.
En séminaire avec les responsables de son parti il y a quelques jours, Idrissa Seck s’est décrit comme « le Lionel Messi de la politique » au Sénégal. « Il marche sur le terrain, réfléchit au bon angle d’attaque et à la stratégie à déployer et, d’un coup d’accélérateur, règle le problème pour son équipe », avait-il dit à ses lieutenants avec un sens de la formule encore intact. Le problème, cependant, avec celui qui a invité publiquement le président Macky Sall à prendre « la bonne décision » en ne se présentant pas en 2024, c’est que quand il accélère, le temps recule. Et qu’il s’enferme dans un mysticisme politique où il est le seul à entendre les voix de ces augures qui lui prédisent des succès toujours contredits dans la vraie vie.

« Niasse à l’indicatif présent » 

A l’Alliance des Forces de Progrès, le chant entonné par Alioune Sarr ne sonne pas d’une manière agréable à l’oreille de Moustapha Niasse. Et les nombreuses sections de l’Afp qui investissent le maire de Notto Diobass risquent une grosse colère à l’imparfait du subjonctif de ce mastodonte politique qui adore les sophismes latino-grecs. Il est reproché à Niasse de vouloir « tuer » son parti, de tenir la bride au coursier progressiste pour l’empêcher d’aller à l’assaut du pouvoir en 2024, d’étouffer toute ambition dans sa famille politique pour plaire à ses alliés de l’Alliance pour la République (Apr). Les mots sont, peut-être grossis, mais l’Afp est rattrapé par le même débat qui a miné le Parti socialiste avant d’aboutir à l’exclusion de Khalifa Sall. Ira-t-on jusque-là dans la formation de l’homme aux mouchoirs blancs ? Il avait promis d’organiser un congrès et de passer la main aux jeunes, mais il se hâte si lentement que la décision risque d’intervenir après… 2024. À 83 ans, un âge tardif, peut-être, pour courir derrière les honneurs, mais idéal pour partager ses expériences et servir de guide, Moutapha Niasse sacrifiera-t-il son compagnonnage avec Macky Sall pour épouser le destin de son parti ? Il lui faudra, pour une fois, user du monde indicatif (celui de l’action dans sa réalité) pour rester dans le temps de la jeunesse de son parti.

« Convictions filiformes »

En 2011, Ismaila Madior Fall, actuel ministre de la Justice, Garde des Sceaux, avait écrit une contribution sur l’inconstitutionnalité de la troisième candidature du président Abdoulaye Wade. 12 ans après, Il adopte une autre posture en défendant une troisième candidature de Macky Sall. Sa nouvelle trouvaille déconsolidante : « on peut changer de parole si les circonstances se présentent ». Curieusement, le président Macky Sall, interrogé par l’hebdomadaire français « L’Express » sur la même question, a répété les mêmes mots : « J’ai donné une opinion qui correspondait à ma conviction du moment. Celle-ci peut évoluer et les circonstances peuvent m’amener à changer de position. Nous sommes en politique ».
Ismaila Madior, l’idéologue de Macky en matière de droit s’est sans doute inspiré d’une autre « girouette cérébrale ». Victor Hugo, en effet, était passé du monarchisme au socialisme et déclaré qu’il était normal de changer d’avis. « Les faits vous amènent à modifier votre réflexion » disait-il. Hugo, cependant, incarnait une forme de mobilité désintéressée. Il évoluait sur des exigences intellectuelles qui l’ont éloigné des pouvoirs. L’actuel ministre de la Justice, est quant à lui, une « girouette opportuniste ». Sa pensée, ses positions sont vénales. Comme tous les tenants de l’esprit de cour, il est plus penché que pensant.
L’académicien français Jean-François Revel avait averti : « L’amoureux véritable des fonctions et des places ne démissionne jamais ni pour raison de conscience, ni faute de conditions techniques nécessaires à son office. Il sacrifie toujours ce qu’il faut et ceux qu’il faut à la conservation de son pouvoir, y compris ce pouvoir, même s’il doit se résigner à n’en plus retenir que l’apparence ».
« Si. Di. »

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