QUI CROIRE ? / Controverse scientifique : les symptômes du « Covid long » sont-ils une maladie imaginaire ?

Une étude publiée le 8 novembre dernier dans le « Journal of the American Medical Association » (JAMA) suppose que la souffrance de certains patients reconnus comme « Covid long » serait de l’ordre de croyances. Le texte a provoqué la colère des associations de patients et a reçu de nombreuses critiques de scientifiques, notamment sur la question de sa méthodologie. Explications.

Pour les patients aujourd’hui identifiés « Covid long », le chemin de la reconnaissance a été particulièrement ardu. Il y a d’abord eu l’incompréhension d’une partie du corps médical, ponctuée de maladresses face à une maladie nouvelle. Puis l’ignorance des gouvernants et du domaine administratif face à des citoyens incapables de reprendre leur travail et en quête de reconnaissance de leurs maux.

Jusqu’à ce qu’une proposition de résolution du groupe La République en marche, le 17 février 2021, « visant à reconnaître et prendre en charge les complications à long terme de la covid-19 » ne soit votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Et que plus tard, en octobre dernier, l’OMS ne donne une définition clinique du Covid long : « L’état post COVID-19 survient chez les personnes ayant des antécédents d’infection probable ou confirmée par le SRAS CoV-2, généralement 3 mois après le début de COVID-19 avec des symptômes et qui durent au moins deux mois et ne peut pas être expliquée par un autre diagnostic », écrit l’organisation dans un communiqué.

COLÈRE DES PATIENTS
Un soulagement pour de nombreux patients, alors qu’en France près de 700 000 personnes seraient touchées par les symptômes persistants. Mais depuis quelques jours, beaucoup sont en colère – et inquiets. Matthieu Lestage, porte-parole de l’association de patients « Covid long Après J20 » aussi est de ceux-là. Malade du Covid en octobre 2020, l’homme traîne toujours des symptômes prolongés attribués au virus (céphalées, douleurs musculaires et articulaires, fatigue). Il lui avait fallu près de trois mois pour trouver un médecin qui veuille bien le prendre en charge et tente d’expliquer ses symptômes persistants. Mais selon lui, l’étude publiée récemment dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) pourrait être « dommageable » et « mettre à mal tous les efforts faits jusqu’ici par les médecins et le gouvernement dans la reconnaissance du Covid long », explique-t-il à Marianne.

Un constat partagé par la députée LREM de l’Hérault Patricia Mirallès, patiente covid long et à l’origine de la résolution votée en février à l’Assemblée nationale. « Je suis très très en colère, confie-t-elle. D’autant que cette publication fait l’objet d’interprétations largement préjudiciables pour les patients et les professionnels de santé. »

UNE ÉTUDE BIAISÉE ?
Et pour cause : l’étude, effectuée sur 27 000 personnes et publiée le 8 novembre dernier, suppose que certains patients aujourd’hui diagnostiqués Covid long auraient des symptômes persistants du fait de leur « croyance ». Elle suggère ainsi que « les symptômes physiques persistants après l’infection au COVID-19 ne devraient pas être automatiquement attribués au SRAS-CoV-2 ; une évaluation médicale complète peut être nécessaire pour éviter d’attribuer à tort des symptômes au virus ». Et de souligner : « Les croyances concernant les causes de ces symptômes peuvent influencer leur perception et favoriser des comportements de santé inadaptés. »

Des conclusions qui ont fait bondir Jérôme Larché, médecin et réanimateur médical à Montpellier, aussi membre du conseil scientifique de l’association des patients « Covid long, AprèsJ20 ». « L’étude aurait pu être intéressante du fait qu’elle abordait les aspects psychologiques du Covid long, malheureusement les résultats et la façon dont ils sont présentés le sont moins et sont dommageables pour les patients qui sont en train de construire une stratégie de soins », juge-t-il. Selon lui, des biais méthodologiques majeurs « ne permettent pas de rendre cette étude crédible ». L’interniste pointe notamment le fait que l’étude ait été réalisée sur la base d’une cohorte de patients existante depuis 2012 et dont l’objectif n’a jamais été l’étude du Covid long.

SCEPTICISME SUR LES TESTS SÉROLOGIQUES
Autre biais, selon le médecin : dans le cadre de l’étude, les personnes ont répondu à des questionnaires pour préciser si elles ont été malades et si elles ressentent toujours des symptômes longtemps après. Parallèlement, la réalité de leur maladie a été mesurée par des tests sérologiques qui permettent de confirmer ou non une infection a posteriori. L’étude conclut ainsi que la plupart des symptômes reliés au Covid long sont bien plus associés au fait de se dire ancien malade… qu’à celui d’avoir été testé positivement. « On sait que les patients « Covid long » ont généralement une réponse immunitaire, humorale et cellulaire, déficiente. Ce qui rend la condition d’une sérologie positive bancale », explique Jérôme Larché.

D’autres chercheurs, en dehors de la France, ont fait savoir leur scepticisme face à cette étude. « Un test sérologique n’est pas fiable comme marqueur d’une précédente infection », s’est agacé le virologue britannique Jeremy Rossman, dans un article de Science Media Center.

« Certains pensent que le Covid long est un trouble somatique fonctionnel (troubles anxieux ou dépressifs, ndlr). Mais il ne faut pas confondre causalité et conséquences », estime Jérôme Larché.

UNE QUESTION DE PRUDENCE
Pour sa défense, le psychiatre de l’AP-HP Cédric Lemogne, principal auteur de l’étude publiée dans JAMA revient auprès de Marianne sur les constats qui l’ont poussé à réaliser une telle étude. « A l’Hôtel Dieu à Paris, nous avons mis en place un circuit dédié aux patients ayant des symptômes prolongés après un épisode de Covid-19, associant médecins internistes, infectiologues, psychiatres et spécialistes de l’activité physique. Rapidement il nous est apparu que les causes de ces symptômes pouvaient être diverses et qu’il fallait être prudent dans la démarche clinique avant de les attribuer au virus », explique-t-il pointant le fait que l’engouement médiatique autour du Covid-19 pourrait favoriser les erreurs de diagnostics et pousser les médecins à passer à côté d’autres maladies.

Un commentaire qui a tendance à agacer Jérôme Larché puisqu’avant de définir un patient comme Covid long, celui-ci doit subir une batterie de tests pour « éliminer d’autres pathologies. Car on sait qu’une infection virale peut faire ressortir des maladies en sommeil ».

Quant à la présence d’un éventuel biais méthodologique, Cédric Lemogne balaie l’accusation, expliquant que « l’étude montre une association entre une sérologie positive et un symptôme durable, celui de la perte de l’odorat ». Une preuve, selon lui, que la méthode utilisée peut distinguer quelles manifestations sont réellement liés à une infection Sars-CoV-2. « Notre étude ne dit pas que les symptômes attribués au Covid long n’existent pas. Néanmoins, nous interrogeons l’origine de ces symptômes. »

TROUBLES PSYCHOLOGIQUES
Le psychiatre de l’AP-HP n’a pas été surpris par la controverse : « Je crois qu’il y a une confusion entre la reconnaissance de la souffrance de ces patients et le caractère nécessairement organique des mécanismes pathologiques. ». « J’ai été marqué par le fait que l’on dise qu’il s’agit d’une étude stigmatisant les patients. En réalité, ce n’est pas l’étude qui l’est, mais le regard de la société sur les mécanismes dits psychologiques. Quand on parle de troubles psychologiques, les gens s’imaginent qu’on les qualifie de malades imaginaires, or c’est plutôt un comportement biaisé du cerveau par la maladie. ».

Selon de précédentes études épidémiologiques sur le sujet, le Covid long se manifeste chez 10 % à 30 % des patients Covid positifs. Ce qui signifie qu’en France, entre 700 000 et 2,4 millions de personnes en souffriraient.

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