ESCALADE POTENTIELLE / Guerre en Ukraine : Bras de fer autour de Kaliningrad, territoire russe surarmé au cœur de l’Europe (Par Pierre Haski)

Le bras de fer autour de Kaliningrad, territoire russe entre Pologne et Lituanie, héritage anachronique du XXe siècle, a tous les ingrédients d’une crise majeure.

La Lituanie a bloqué le transit des produits russes affectés par les sanctions européennes destinés à l’enclave de Kaliningrad, s’attirant des menaces directes de Moscou. Cette crise, dans cette anomalie historique héritée du XX° siècle, a un fort potentiel d’escalade.

C’est un petit territoire isolé de 15 000 kilomètres carrés sur lequel vivent quelque 500 000 personnes. Et sur lequel flotte le drapeau russe. Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, tous ceux qui cherchent à identifier les escalades potentielles pointent vers cette anomalie de l’histoire au potentiel explosif : Kaliningrad. Il suffit de regarder une carte.

L’escalade redoutée est en cours. Kaliningrad est un bout de Fédération de Russie, surarmé, coincé entre la Pologne et la Lituanie, sans lien avec le territoire russe. Son approvisionnement se fait par un couloir de 35 kilomètres à cheval sur les frontières de la Pologne et la Lituanie, tous deux membres de l’Union européenne et de l’Otan.

La Lituanie a décidé d’appliquer les sanctions européennes concernant environ la moitié des produits russes à destination de Kaliningrad. Hier, la Russie a réagi avec des mots menaçants : si le transit n’est pas rétabli dans sa totalité, a déclaré Moscou, « alors la Russie se réserve le droit d’agir pour défendre ses intérêts nationaux ».

Pourquoi la Lituanie a-t-elle décidé d’agir maintenant ? Et surtout, la Lituanie a-t-elle agi en concertation avec ses partenaires européens et de l’Otan ? Car si la Russie décide de riposter, voire de rétablir par la force le transit entre Kaliningrad et la Biélorussie, puis vers la Russie, il y a un risque d’escalade considérable.

Un début de réponse est venu de Bruxelles où le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité, Josep Borrell, a rejeté les menaces russes en estimant que la Lituanie n’était « coupable de rien ». Elle ne fait, selon lui, qu’appliquer les modalités des sanctions adoptées par l’Union européenne.

Il est clair que Moscou ne l’entendra pas ainsi, et verra dans cette action un engagement de plus de la part de l’Otan. Il n’y a pas véritablement de « blocus » de Kaliningrad comme il y a pu y avoir, au temps de la guerre froide, un blocus de Berlin par le camp soviétique. Kaliningrad peut toujours être approvisionné par la mer et la mesure lituanienne ne concerne pas les produits de première nécessité ; mais hier, les habitants de l’enclave ont dévalisé les supermarchés en panique. Moscou ne peut pas rester passif.

Le risque est d’autant plus élevé que Kaliningrad est l’un des endroits les plus militarisés au monde. Y compris en missiles balistiques et en armes nucléaires. C’est aussi le siège de la flotte russe de la Baltique.

Il y a un paradoxe historique incroyable à cette brusque montée de tension. Il y avait autrefois dans cette région le « corridor de Dantzig », imposé à l’Allemagne en 1919, et qui permettait à la Pologne d’avoir un accès à la mer. En 1939, l’Allemagne nazie a voulu le récupérer, après avoir avalé les Sudètes. Un slogan pacifiste en France en 1939 proclamait « faut-il mourir pour Dantzig ? ». La guerre ne fut pas évitée.

Après la guerre, l’URSS a reçu en compensation de l’Allemagne la ville de Königsberg, rebaptisé Kaliningrad, avec un corridor nommé Suwalki pour la relier à la Biélorussie, alors au sein de l’Union soviétique. La même aberration que le corridor de Dantzig.

« Faut-il mourir pour Kaliningrad ? » On n’en est pas là, mais la ville natale du philosophe Kant est en train de devenir un abcès de fixation de la confrontation Russie-Occident. Cet héritage empoisonné du XX° siècle a tous les ingrédients dont on fait les crises majeures.

N.B. : Le titre est de la rédaction de Riopost.net

Source : France Inter

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