CAN 2024 : le Sénégal, un modèle extraverti…

Si le Sénégal multiplie les victoires avec ses sélections de joueurs (CAN 2022, CHAN 2023, CAN U20 et U17 2023), ses clubs sont à la peine dans les compétitions continentales. La faute à un modèle entièrement tourné vers la formation et l'export de joueurs au détriment de la compétitivité des équipes locales. La CAN 2024 en est une nouvelle preuve : les 27 Lions de la Teranga sélectionnés évoluent tous hors d'Europe au quotidien. Reportage sur ce paradoxe sénégalais.

L’ambiance est paisible au sein de l’Institut Diambars de Saly, l’une des académies de référence du ballon rond au Sénégal. En ce dimanche 7 janvier, les U15 – joueurs de moins de 15 ans – du centre de formation suivent tranquillement leur cours d’arabe. Au même moment, les derniers réglages sont en train d’être opérés par le staff de l’équipe première avant le départ pour Dakar où Diambars affronte Guédiawaye FC dans un match comptant pour la 11e journée de Ligue 1 sénégalaise.

À quelques jours de la CAN 2024 qui s’ouvre samedi 13 janvier en Côte d’Ivoire, le championnat local suit son cours. Et la sélection nationale est un motif de fierté pour l’Institut Diambars, où sont passés trois joueurs sélectionnés pour représenter les Lions de la Teranga : Idrissa Gana Gueye, Pathé Ciss et Bamba Dieng. L’académie est une parfaite illustration du nouveau visage du football sénégalais, qui forme pléthore de talents destinés au à l’étranger. Un football qui traverse une période faste, érigé en modèle sur le continent puisqu’il a remporté cinq des six dernières compétitions masculines organisés par la CAF : la CAN 2022, le CHAN 2023, la CAN U20 et U17 2023 ainsi que la CAN de Beach soccer 2022.

« Made in France » en 2002 

Makane, l’intendant de l’équipe, dépose ses effets personnels dans le bus de l’équipe à une demi-heure du départ pour le match à Dakar. Cet ancien de Saly Sport Club est à l’institut Diambars depuis 5 ans. Fin connaisseur du football sénégalais, il trouve évident que la sélection national soit composée à 100 % de joueurs évoluant hors du pays.

« Lors de la Coupe du monde 2022, avant le match entre le Sénégal et la France, le magazine France Football avait écrit un article intitulé ‘Made in France’, en faisant référence au fait que la majorité des joueurs sénégalais à l’époque évoluait en France », rappelle t-il.

Vingt-deux ans plus tard, la tendance n’a pas changé. « On est habitué à voir une majorité de joueurs expatriés en sélection. Je n’y vois pas de mal. C’est ce qui nous a aussi permis d’avoir toutes ces victoires. Les joueurs qui jouent ici, au Sénégal, n’ont pas encore le niveau de ceux qui évoluent en Europe. Et le Sénégal n’est pas une exception. Beaucoup d’autres sélections recourent également essentiellement aux joueurs évoluant en Europe », argumente Makane.

Dans le hall du bâtiment administratif de l’Institut, Pape Ibrahima Faye, plus connu sous le pseudonyme de PIF, vient à notre rencontre. L’entraîneur adjoint de l’équipe première de Diambars, ancien footballeur, est lui-même père d’un jeune joueur évoluant en Europe. Son fils, Ibrahima Faye, formé par Diambars, est depuis quelques mois un joueur du BK Häcken, club évoluant en première division du championnat suédois.

« La plupart des joueurs qui excellent en Europe, hormis les binationaux, ont été d’abord formés au Sénégal », relativise PIF. Pour lui, les académies comme Diambars et Génération Foot, l’autre fleuron sénégalais, sont des moteurs qui ont permis au Sénégal de dominer le football africain.

Des clubs à la traîne 

La suprématie sénégalaise sur le continent s’arrête cependant aux sélections nationales. Pour les clubs, c’est la traversée du désert. Cette dernière décennie, seul Teungueth FC, un club de la banlieue dakaroise, a réussi à passer les éliminatoires et se qualifier en phase de poule de la Ligue des champions africaine en 2021. Les clubs sénégalais se font sortir très souvent dès le premier tour des deux grandes compétitions africaines dans la catégorie. De désolantes performances que Pape Ibrahima Faye regrette.

« Pour que nos clubs gagnent, il faut qu’on arrive à garder nos meilleurs joueurs pendant trois ou quatre saisons, avant de les laisser partir en Europe », recommande PIF. « L’exemple de l’Égypte est là. En Égypte, pendant un temps, les joueurs ne sortaient du pays qu’à l’âge de 27 ans. Les talents égyptiens profitaient aux clubs locaux. L’exemple du Tout Puissant Mazembe au Congo le montre aussi. Ils ont suffisamment de moyens pour garder leurs joueurs loin des convoitises européennes. Un joueur de Mazembe peut payer 10 joueurs du championnat sénégalais. »

Un avis partagé par le journaliste sportif Cheikh Diop Ndiaye, du groupe de presse sénégalais E-media. Pour lui, le football sénégalais est structuré pour privilégier la sélection au détriment des clubs, qui manquent de moyens financiers pour rivaliser avec les grandes équipes africaines. Croisé dans la tribune de presse lors du dernier match amical des Lions avant la CAN dans le flambant neuf stade Abdoulaye Wade de Diamniadio, l’homme aux dreadlocks évoque le sujet avec ses confrères.

« Ailleurs sur le continent, ce sont de grands investisseurs qui permettent aux clubs d’être compétitifs. Au Sénégal, il y a certains qui essaient de le faire, comme les investisseurs Babacar Ndiaye avec Teungueth FC et Cheikh Seck avec le Jaraaf de Dakar, mais c’est encore timide. Les clubs n’ont pas comme objectif de relever le niveau du championnat local et de s’imposer en Afrique, mais de former des joueurs et les revendre », analyse t-il.

De l’avis des spécialistes interrogés, le Sénégal peut développer un football plus homogène, qui gagne autant en club qu’en sélection. La victoire des Lions en 2023 lors du dernier Championnat d’Afrique des Nations, la compétition de la CAF qui regroupe les sélections africaines aux joueurs évoluant uniquement dans leurs pays, l’a démontré : il y a un grand vivier de joueurs de qualité au Sénégal. Reste à les garder dans les clubs locaux pour s’imposer à l’échelle continentale.

Source : France 24

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